FAQ : cinq manuscrits en cinq ans, drogue, alcool et inspiration ?

Cinq manuscrits. Et une vingtaine de nouvelles. D’où ça vient cette inspiration ? Qu’est-ce qui nourrit l’écriture ? La drogue, le sexe, l’acool, la bohème ?

Cette question est pertinente mais j’ai peur que la réponse te déçoive cher mon lecteur. La bohème, finalement, inspire très peu. M’inspire très peu. A la rigueur un poème ou un texte très court, vite tapé, entre l’état euphorique, mélancolique et végétatif des nuits de bohème – ou de débauche si on veut paraitre moins romantique. J’avais lu un rapport sur l’organisation de la vie de quelques grands écrivains du XIXème et début XXème et c’était finalement assez peu extravagant, des horaires fixes d’écriture, du sport, de la lecture, une routine et une discipline qui leur permettaient de s’abandonner dans le « travail ».

Moi, je n’ai pas de routine, parce que j’ai écrit ces cinq manuscrits et ces nouvelles dans des conditions très différentes. Le premier de texte de fiction que j’ai écrit, Trois ombres au soleil, est né de mon emménagement à Bruxelles, au coeur d’un hiver neigeux. J’avais ressenti une forme de violence inouïe en m’installant dans la Ville – la Capitale – et c’est à cet instant que tout a commencé, que l’étincelle a jailli du frottement entre les deux hémisphères de mon cerveau et que je me suis mis à écrire. L’écriture est née dans une ville froide, sur les trottoirs verglassés. Mais depuis tout a changé. J’ai changé de méthode d’écriture, en faisant quelque chose de plus construit, de moins spontané et sur les deux derniers textes, Quand les ânes de la colline sont devenus barbus et Au nom du père, c’est en imaginant les terres arides des grands espaces que l’inspiration est apparue. En ce moment, c’est la chaleur du soleil, ce sont les gens couchés dans les parcs, c’est l’odeur des rues au printemps qui m’inspirent, qui me donnent un cadre et me font voyager – condition indispensable à toute forme d’inspiration désormais. 

L’inspiration se divise en deux. Il y a ce qui m’émeut et me bouleverse, c’est souvent lié à l’actualité ou à un souvenir de ce que j’ai vu, un jour, n’importe où, ici, en voyage, en ville, à la campagne et qui bien des mois plus tard me rattrape, me tape un doigt sur le cerveau et le fouette violemment. Parfois je prends des notes. Et parfois je laisse percoler, l’information se dissipe et il n’en reste qu’un fragment, érodé par le temps et la mémoire, qui est déterré, sans raison et qui prend une valeur nouvelle. Et ensuite il y a les conditions qui amènent l’inspiration. C’est étrange, cette sensation. Je sens des germes pousser à l’intérieur de mon cerveau et me traverser le corps jusqu’aux orteils. C’est une sensation diffuse, incontrôlable, très jouissive parce que c’est là que nait un manuscrit, c’est là, qu’à travers les brûmes on perçoit les bribes d’un manuscrit, floues, indéfinies qui promettent toujours un grand roman, les romans qu’on esquisse sont toujours les plus beaux romans, qui perdent de leur magie une fois qu’on pose les premières lettres, en times ou en garamond 12.

J’ai reconnu cette sensation dans les villes du sud de l’Europe, dans l’odeur des rues chaudes, dans les rues de Lisbonne, de Séville ou de Rome où les femmes étendent leur linge et se parlent d’une fenêtre à l’autre, de ces vieux hommes assis sur un banc à se gratter le menton d’un geste lent et dosé, dans le parfum que le soleil laisse sur la peau, dans le spectacle de ces gens affalés dans les parcs, seuls, en couple, en groupe, en famille, à ne rien faire d’autre que jouir de l’instant. Les corps révélés, suggérés, l’intensité de la lumière du jour, la mélancolie des nuits chaudes, le cinéma, les interminables après-midi blancs, des images, nettes, fixes, des photographies d’un instant à la lumière décalée et unique, la promesse d’un long voyage, les longues trainées blanches derrière les avions de ligne et le sourire des filles. Tout ça, bien souvent, crée une étincelle qu’on appelle pompeusement : inspiration. Et à partir de là se tissent tous les liens entre les germes qui viennent de pousser à l’intérieur du corps. Je t’en parle parce que quelque chose de ce genre m’est arrivé cet après-midi. La lumière, le monde dehors.

Et si l’inspiration, c’était simplement la fin de l’hiver ?

                                                 

 

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